RACINES BLEUES
RACINES BLEUES
RACINES BLEUES
Racines bleues, migrations comtoises, errances des âmes et Blues de la comté. Un spectacle onirique et virtuose proposé par Jean-Michel Trimaille


Photo Emmanuel Chagrot, 2023

Photo Amandine Vercez, 2022

Photo Amandine Vercez, 2022

Photo Emmanuel Chagrot, 2023
Archibald est né en 1920 à Lafayette en Louisiane. Son arrière grand-père a quitté Chapelle d'Huin en 1840 avec une centaine de gars du Haut-Doubs. De ses ancêtres, il ne lui reste que de vieilles chansons en franc-comtois. Archibald est guitariste de blues et de Jazz. En 1950, il croise Django Reinhardt à la gare de Lafayette....
Ce spectacle-concert nous dévoile les chansons et mots/maux bleus de nos aïeux, tirés du collectage de l'Abbé Jean Garneret (édité par le Musée des Maisons Comtoises).
Quelques auteurs contemporains viendront donner une perspective à ces trajectoires singulières.
Arrangé dans une forme inattendue et vivifiante, le programme repose sur une trame historiquement cohérente et attestée.
L'esthétique sonore, quant à elle, couvre la musique des années 20 à nos jours, avec cependant quelques rencontres fortuites comme celle du Sokou (instrument burkinabé) avec la viole de gambe.
Seul en scéne, Jean-Michel Trimaille nous livre le fruit d'un travail de plus de vingt années de pratique et de dialogue entre la culture comtoise et les musiques du monde dont bien-sûr le blues et les musiques Cajun.
NOTES D'INTENTION
LES RACINES DU SPECTACLE
J'ai choisi de mettre en valeur l'héritage musical franc-comtois en me servant d'un personnage américain, ARCHIBALD LAFAYETTE, né en 1920 près du Delta du Mississipi. Ses aïeux auraient émigré en Louisiane en 1840 avec 140 habitants du Haut-Doubs (Franche-Comté).
La connexion historique
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Croisement des fonctions de la musique des deux cultures.
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Expression chantée de la vie quotidienne ainsi que de la souffrance des populations, leurs espérances, les errances amoureuses, les batailles et le besoin de justice.
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Partage du mode de vie agricole sur une terre d’accueil hostile et dans un contexte de soumission par force et violence
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Errance commune aux migrants européens et aux afro-américains
Les formes musicales
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Quels sont les éléments musicaux du style blues et comment ont-ils été intégrés ou adaptés par les Français immigrés en Louisiane que l’on appelle les Cajuns ?
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Relation à la danse et au corps dans la société franc-comtoise comparée à la danse et la transe africaine .
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« Les work-songs », chants de travail dans les plantations, pratiqués en Afrique et chants à répondre en Franche-Comté, présents dans mon spectacle.
Les débuts d'Archibald
Il n’y a pas d’enregistrement d’artistes franc-comtois jouant le blues rural des années 30, hélas ! Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu...
Par contre, on dispose d'un enregistrement des chansons cajun datant des années 30, en vieux français.
J’ai eu vraiment un déclic en écoutant Cleoma Breaux Falcon (notamment la chanson « Blues Negres »), chanteuse de la Louisiane française qui s’accompagne à la guitare avec son mari à l’accordéon, au milieu des années 30 .
J’avais à l’époque dans les mains une bonne poignée de chansons traditionnelles de Franche-Comté, dont deux en patois transmises par Henri Benoît. En tant qu’arrangeur, je les tordais dans tous les sens pour les adapter à mon oreille de guitariste nourri bien-sûr de musique anglo-saxonne et américaine.
Et là, en écoutant et confrontant ces collectages des années 30, je me rendais compte que la voix de Cleoma s’exprimant en vieux français était timbrée un peu de la même manière que celle des chanteuses Franc-comtoises enregistrées dans les années 60 et collectées par l’abbé Garneret !
Dans cette série d’enregistrements des Français en Louisiane, on peut se faire surprendre par la manière de chanter en vieux français tout en cherchant à épouser le style blues émergeant et chanté par les afro-américains. On peut entendre l'adaptation du style dans les accents et le choix des notes, des ornements. Avec l’attaque de certaines notes de la mélodie par le demi-ton en-dessous, en glissant lentement sur la tierce majeure, on obtient une manière d’approcher la Blue Note. Ces chansons et ces danses ne tombent d’ailleurs pas ou très peu dans la plaisanterie ou la parodie comme ça pouvait être le cas dans les revues des cabarets blancs de l’époque ainsi que dans certains clubs au début du Dixieland.
Les bals d'Archibald
Dans toutes les communautés, les personnes ont besoin de bouger et de danser en harmonie avec les partenaires pour réapprivoiser les codes de communication relatifs au corps, voire à la sensualité. On adapte donc les vieilles valses européennes. J’ai d’ailleurs été très touché en entendant le violoniste Canray Fontenot dans "Le blues de la prison", valse mixée à du blues sur un texte déchirant. C’est une chanson sur laquelle nous avons longuement travaillé avec Romain Mary, violoniste spécialiste des musiques traditionnelles du Jura et du violon cajun (à écouter sur le 2ème album cajun de notre duo "Les Zaricots").
D’ailleurs parmi les guitaristes qui on marqué Robert Johnson, un autre guitariste de l’état voisin, il y a Son House et Willy Brown qui gagnaient leur vie dans les bals de plantations. Les work-songs étaient aussi un moyen d'échanges musicaux pour les créoles.
On peut aussi trouver dans ces chansons l’esquisse de la carrure du blues à 12 mesures qui donnera naissance à la danse du «Two Step» (Zadico).
Une caractéristique essentielle héritée de la musique afro-américaine réside dans l'attention portée sur au 2ème et 4ème temps de la mesure, appui nommé "after beat".
Dans les harmonies de la musique arrive très vite l’utilisation de la septième mineure sur le premier accord de la tonalité et surtout les fameuses blue notes qui allaient conquérir la musique populaire du XXe siècle (tous pays confondus). Ce principe est quelques fois adaptable dans les chansons franc-comtoises construites sur le mode de sol ; elles sont d’ailleurs souvent des chansons à répondre, au travail ou en banquet.
Bien-sûr avec Cleoma, nous sommes encore loin de la guitare virtuose et de la voix fascinante d’un Lonnie Johnson ou d’un Slim Harpo, guitaristes de Louisiane ! J'ai remarqué que les accords diminués dans le jeu de Lonnie Johnson sont utilisés de la même manière par l'européen Django Reinhardt.
Mais nous sommes donc à la même époque sur la même terre et avec une population qui partage, hormis l’intolérable ségrégation raciale, la même dureté de vie et les mêmes types de réjouissances, c’est à dire essentiellement les bals, les fêtes patronales et les carnavals. Les bals des plantations étaient évidemment fréquentés par les afro-américains et donc étaient rythmés par des pulsations sans doute plus profondes où la transe est de mise.
L'héritage d'Archibald
J'ai travaillé pendant 15 ans avec un griot et un musicien bulgare dans les compositions du groupe de musique du monde TRIO LÉLÉ. J’étais très préoccupé : pourquoi et comment nos chansons et danses traditionnelles de Franche-Comté (indépendante jusqu’à Louis XIV) se sont évaporées et comment pourrait-on retrouver leur juste place de médiation avec la nature, la mort, les ancêtres et bien-sûr les chansons d’amour plus ou moins initiatiques ?
Par contre, tout cela est resté vivant dans la voix, la mémoire et le cœur du griot africain dont on retrouve la fonction chez le musicien de blues (comme ce fut sans doute le cas pour les troubadours et trouvères dans notre culture).
Il y a dans le blues comme dans les chansons traditionnelles, une poésie réaliste d’une grande profondeur.
Pour nous autres franc-comtois modernes, le folklore est à côté de nous mais ne nous touche plus : il est bien rangé et dort dans trois magnifiques volumes : "Chansons populaires comtoises" par l'Abbé Garneret et Charles Culot. C’est un trésor qui a peu de chances de croiser nos oreilles, plus du tout habituées à vibrer sur les lignes des mélodies comtoises, du moins dans un contexte de partage «populaire» et non sur un plan mental et analytique où il risque d’être confiné.
Parmi ce qui m’a connecté inconsciemment à l’univers du blues de Louisiane et du Mississippi, il y a la notion de voyage ferroviaire et d'errance. J’ai vécu toute mon enfance près d’une petite gare de Franche-Comté et nous écoutions à l’époque Neil Young, Eric Clapton, les musiciens de blues rural n’étaient pas ou très peu distribués en France dans les années 1970.
Pour nous enfants, ces musiques semblaient parler d’un art de la vie simple mais paradoxalement venant d’un pays très loin, très très loin... bien au-delà des rails du chemin de fer !
Un autre élément important qui m’a conduit à travailler sur ce programme vient de ma rencontre avec des musiciens traditionnels africains. En effet la musique joue un rôle central dans leur culture, ce qui a pu être le cas dans notre tradition païenne d'origine celtique en Franche-Comté (chants de protection des récoltes et des troupeaux).
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Rôles de gardien de l’histoire et de médiateur chez les griots africains, présents aussi chez les chanteurs de blues : médiateurs sociaux et familiaux, ils sont aussi chargés de la relation avec les ancêtres dans l’au-delà.
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Utilisation de la musique comme médium pour la contemplation, le discours philosophique et même la visualisation de type chamanique : pratique que j’ai découverte au Burkina avec le griot Wenemy.
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Réactualisation et ritualisation des croyances animistes par les Afro-américains
Inspirations bibliographiques :
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« Chansons populaires comtoises I, II et III » de Jean Garneret et Charles Culot, édition Musée des techniques comtoises de Nancray
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« Barbizier », Revue d'ethnologie franc-comtoise
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« Musiciens canadiens et créoles », Barry Jean Ancelot, University of Texas
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« Et le diable a surgi La vraie vie de Robert Johnson » de Bruce Conforth et Clayle Dean Wardlow
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« Jazz suprême » de Raphaël Imbert, édition de l'éclat
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« Mambo Jumbo » de Ismaël Reed, édition de l'olivier
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« Harlem Quartet » de James Baldwin
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« Une histoire populaire de l'empire américain » de Paul Buhle et Mike konopacki, édition Broché
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Lonnie Johnson by Stefan Grossman
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Pédagogie de l'écriture de G. Geai, éditions La Vilette
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Philosophie du blues, une éthique de l'errance solitaire de Philippe Paraire, éditions de l'Epervier




